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JMculture
11 février 2019

Rencontre avec David Lopez

Rencontre entre David Lopez
et les premières S1, L1 et ST1
Vendredi 8 février 2018 au CDI du lycée Jean Moulin

David Lopez est l'auteur de Fief, qui a reçu le prix du livre Inter en 2018.

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Pourquoi un roman qui semble sans but ?
Ce roman n’est pas un roman à intrigue, il n’est pas « scénarisé », ce n’est pas un « roman de formation » : il n’y a pas de chemin initiatique vers la résolution. J e préfère montrer le réel comme il est, car la vie n’est pas scénarisée : il s’agit de montrer des tranches de vie sans artifice, de dérouler des motifs pour raconter quelque chose derrière ces motifs, raconter quelque chose dans le sous-texte. Le roman pas le lieu de l'intellect de la pensée mais le lieu de l'émotion de la sensation.

Pourquoi Jonas perd-t-il son combat à la fin ?
Ce combat perdu était prévu depuis le début par Jonas car je voulais raconter une histoire de loose dans un « anti feel good book » : la vie peut être belle même quand on n’est pas heureux, même quand on perd un combat : il s’agissait plutôt de montrer la poésie de la vie quotidienne, de montrer comment on peut être présent à soi-même et aux choses qui nous entourent. Et puis dans la vie, quand on ne travaille pas, on perd, alors il n’y a pas de raison pour que ce ne soit pas le cas dans le livre. Je voulais montrer aussi qu'entre 4 cordes on se sent fragile, on n'est pas dans Rocky !

Pourquoi y-a-t-il autant de descriptions ?
Parce que pour moi, ce qui est intéressant dans l’écriture ce n’est pas le « drama », c'est-
à dire l’action, c’est plutôt de raconter les choses de manière indirecte, donc décrire le décor, les gestes -je peux écrire 50 pages sur le mouvement d'une épaule!-, ce qui permet de créer une ambiance et de raconter les choses indirectement. Il s’agit d’ECRIRE DANS plutôt que d’ECRIRE SUR, d’incarner les choses, de MONTRER plutôt que de DIRE. Ma technique d'écriture ressemble à un plan séquence cinéma. Pas de "discours sur" : je veux susciter chez le lecteur quelque chose, je ne suis pas dans la démonstration mais dans la monstration. Je sélectionne des détails, des motifs qui servent à raconter l'histoire. Il y a une beauté possible dans l'insignifiant. Le comment participe à révéler le quoi.

Pourquoi les personnages ne sont-ils pas décrits physiquement ?
Parce qu’ils se définissent par leur action, par leur attitude, par leur manière d’être et de parler plus que par une couleur de peau ou de cheveux, car je ne veux pas les enfermer dans des clichés. J'avoue que cela part à la base d’une lacune (je ne sais pas faire des portraits ! ) et j'ai transformé cette faiblesse en force et en proposition esthétique. Par exemple dans le passage de la carpe qui se contorsionne pour avoir la place de tourner en rond : c'est Jonas qui voit cela mais le narrateur ne nous dit pas ce que cela peut signifier : c'est de l'évocation et pas de l'explication.
Dans le chapitre « Caillou »  j 'étais parti d’une écriture automatique de 52 pages que j' ai réduit à 3 pages : il s’agissait de se perdre en chemin pour découvrir de nouveaux passages. Dans l' écriture on trace une route et on sort à la première occasion : ce sont les accidents qui valent le coup.

Pourquoi la mère de Jonas n’existe pas ?
J' ai beaucoup investi le champ du père et j' avoue que cela m'a beaucoup « coûté », je ne voyais donc pas faire la même chose avec la mère. Je pense que l’absence de la mère, si elle n’est pas expliquée, crée une faille ou un manque chez le personnage de Jonas : elle crée quelque-chose dans sa relation avec Wanda qu’on peut expliquer comme on veut. Jonas a un souci dans sa relation avec les femmes peut-être. Les blancs de la fiction sont des blancs dans lesquels le lecteur peut mettre ce qu’il veut. Ces zones blanches sont voulues : la littérature doit donner des indices plutôt que des preuves, le texte ne doit pas décider d’un sens, même j'avoue prendre un risque éthique au nom de l’esthétique.

La relation Jonas / Wanda est compliquée, pourquoi ?
Dans Fief j' évoque une forme de misère sexuelle masculine mai sans rentrer dans les détails. Je dis que Jonas est dans une forme de servitude volontaire face à Wanda, il est passif et Wanda cristalliserait toutes les angoisses de Jonas, ainsi que la féminité dans tout ce qu’elle a de plus contrariant, de plus complexe. Elle pourrait incarner l’auto-disqualification de Jonas. Il n'arrive pas à se projeter et à s'investir et Wanda en souffre. Pour moi elle est amoureuse de lui. Elle aurait voulu qu'il s'investisse davantage dans leur relation.

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Quels sont les rapports entre vous et votre personnage principal narrateur, Jonas ?
Jonas c'est le garçon que j'aurais pu devenir et que je n'aurais pas voulu devenir. Ce n'est pas moi mais il a le même complexe d’auto-disqualification dans la vie que j'ai pu avoir avec l’écriture. Je me situe entre Jonas, pour qui il j' ai beaucoup d’empathie, et Lahuiss qui fait ses études à Paris, comme j'ai pu le faire, avec le brin de condescendance en moins. Jonas est comptable de ses déboires, il n'a pas passé le cap entre le rêve et le désir. Mais Jonas ne souffre pas forcément. On lui fait croire à la réussite mais il est peut-être heureux avec cette vie-là.

Quel est votre votre parcours ?
J'ai fait de la sociologie, mais j'étais trop dans la démonstration, dans l’analyse, alors que la littérature est capable d’investir le réel, de s’intéresser au particulier et à l’individuel. Je ne veux pas écrire pour montrer le déterminisme sociologique à l'aide d'équations. J'ai commencé l’écriture dès 8 ans, puis ma jeunesse, à l’adolescence j'ai refoulé ce désir d'écrire, ne m’autorisant qu’à écrire du rap. Puis le désir d’écriture s’est transformé en volonté, puis en nécessité.

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Comment avez-vous eu l’idée d’écrire Fief ?
J'avais la sensation de maîtriser l’écriture du quotidien, et je voulais investir un univers que je connais bien. Je voulais observer cette injonction sociale qui veut qu’on parte de la ville de province où on habite pour réussir, alors que beaucoup de personnes n’en ressentent pas vraiment le désir. "Réussir c'est trahir" C'est Poto qui le dit en faisant allusion à la réussite dans le rap. Il y a une injonction contradictoire entre l'émancipation et le fait d'être rassuré de rester. Je voulais aussi mettre au jour le fait que les personnages parlent de leur vie avec les paroles des autres parfois en disant qu'il veulent partir parce qu'ils s'ennuie là où ils sont, comme Poto. Est-ce une injonction sociale ? Ou le pense-t-il vraiment ?

Comment est venue l'idée du titre ?
« Fief » était le titre du chapitre maintenant intitulé « Baromètre ». Et puis le titre
« Aquarium » (le bocal clos dans lequel on tourne en rond mais aussi concrètement la pièce dans laquelle on s'enferme pour fumer des joints) que je voulais absolument était déjà pris par un romancier américain. Ce mot est aussi le nom de mon véritable quartier à Nemours, et c'est un un mot qui va bien, qui évoque la chose à soi, le lieu géographiquement fermé et qu’on maîtrise. Finalement, je suis heureux de ce titre plus mystérieux qu’Aquarium. Le FIEF c'est la chose à soi, la source d'où tout part.

Quelle est la Ville que vous avez prise comme modèle ?
Nemours, ma ville d’enfance, au sud de Paris, à 100 km : ville de l’entre-deux, du moyen, cuvette.

Quelles sont vos influences littéraires ?
Dragon Ball Z !! , Louis -Ferdinand Céline, Louis Calaferte, Marcel Jouhandeau : les narrations torturées à la première personne, ceux qui savent rire du tragique de l’existence et qui savent faire un pas de côté. Investir le tragique de l'existence en ayant la capacité d'en rire. L' humour c'est la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive.
J'aime aussi Barjavel pour sa capacité à l'émerveillement.
Et Robinson Crusoé qui montre que si on se met à quelque chose, on peut s'en rendre expert. Par le travail, par les outils, il fait exister son intériorité.

Comment avez-vous travaillé cette langue marquée par l’oralité ? 
Les paroles sont rapportées sans guillemets, sans aller à la ligne et sans tirets parce que les personnages ne disent rien d'important souvent certes mais aussi je trouvais que d'aller à la ligne fait trébucher la lecture et brise le rythme. L’idée, c’est d’entendre les paroles des personnages rapportées par Jonas : les paroles passent par son filtre : on a donc une fluidité de la lecture et une forme de liberté dans le flux de pensée auquel on intègre la parole. Je me définis comme un auteur fasciné par la parole, l’art de la répartie, l’oralité. Ecrire l’oral est un vrai défi pour moi. La phrase qu'on écrit est coup qu'on donne comme en boxe, de la majuscule, pieds au sol pour arriver à l'impact.
Et puis les discussions des personnages ont toujours l’air de désamorcer une vraie discussion naissante.

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